Comment est née votre vocation d'architecte ?
C'est assez banal, j'avais un père architecte dans une période extraordinaire, l'après-guerre, la reconstruction, les années 50-60... C'était un véritable architecte humaniste, il m'a transmis le virus. J'allais sur les chantiers avec lui, très jeune je passais tout mon temps libre dans son atelier.
Quel est le rôle de l'architecte aujourd'hui ?
Dans un monde en métamorphose, l'architecte reste le garant d'une vision et d'un pourquoi. Aujourd'hui, tout pousse à être dans la performance, environnementale, en coût, en fiabilité, en délai, on est dans le "toujours plus". L'architecte, lui, doit être dans le "d'avantage", pour un mieux qualitatif, pour faire que chacun trouve sa place dans la ville. Du coup il doit être aussi urbaniste. C'est un chef d'orchestre, le seul à avoir une vue globale sur l'ensemble des données et des contraintes. Aujourd'hui, c'est une profession en danger : les outils prennent la main sur le temps de conception - la maquette numérique n'est qu'un des éléments-, on doit gérer de grosses équipes... On est trop dans le comment, alors que les architectes sont là pour peser le pourquoi. Les lois Elan et autres, au nom de l'optimisation et de la standardisation, tendent à faire disparaître ce cran du poil-à-gratter. Or il est essentiel de réinterroger le lieu, la culture, de se demander pourquoi on fait ça ici et pour qui, avant de savoir comment on fait. Notre rôle est aussi de tirer les sonnettes d'alarme et de remotiver pour une ville désirable.
Quel lien faîtes-vous entre la recherche d'équilibre et l'harmonie ?
En fait, l'harmonie naît de l'équilibre. Le dessin d'architecture est avant tout l'expression d'un fond et non pas d'une harmonie graphique. "La forme, c'est le fond qui remonte à la surface" la formule n'est pas de moi [elle est de Victor Hugo, ndlr]. A l'agence, on est sur cette recherche d'équilibre dans la cité. Équilibre entre nos aspirations, l'économie et l'environnement… L'harmonie graphique n'est pas la priorité, c'est plus profond, nous recherchons une harmonie fondamentale entre le bâtiment et son environnement, qui va se traduire par une recherche d'harmonie architecturale, ou parfois de dysharmonie d'ailleurs, quand il y a besoin de créer une rupture dans un lieu et un contexte donnés.
Quelle importance accordez-vous au matériau ?
Le matériau exprime toujours quelque chose, il doit être "au service de", et non une réponse esthétique pour l'esthétique. Le matériau porte des valeurs, environnementales, d'équilibre, de performance. Il faut le bon matériau au bon endroit et qui raconte la bonne histoire. A ce titre, les thermes de Vals en Suisse créés par Peter Zumthor sont souvent cités en exemple. Eau, volumes, matériaux, tout y est mis en scène dans une grande justesse, qui traduit le génie du lieu, il y a là une véritable expression et une émotion.
Votre réalisation la plus emblématique ?
Je dirai la Cité de l'environnement à Saint-Priest parce que c'est le 1er bâtiment à énergie positive tous usages en France (2007). C'est un manifeste sur une démarche environnementale engagée, au service de l'usage. Ce projet était un laboratoire social, dans lequel on a éprouvé de nouveaux usages comme les jardins potagers, des lieux communautarisés… C'était les prémices de choses qui sont aujourd'hui des lieux communs. C'était aussi la première expression de "l'espace capable", un espace qui offre aux gens la possibilité de raconter leur propre histoire. Des espaces assez souples et ouverts pour que les gens se les approprient, en mode collaboratif. Et puis il y avait toute la dimension sociocratie du projet, avec de nouveaux modes de gestion et de gouvernance, des prises de décision collectives...
Quelle est votre vision de la ville idéale ?
C'est celle d'une ville confortable et bienveillante. La bienveillance c'est d'abord un regard qu'on porte à l'autre, donc travailler sur la diversité accueillie, notamment à l'échelle de l'îlot, où on va amener du service pour susciter la rencontre, créer du lien. Mais c'est aussi une ville où je peux être seul quand je veux. La ville équilibrée n'est pas forcément une ville dense. On a besoin de retrouver la cellule du village, où chacun trouve sa place, et grâce aux nouvelles technologies, réinvestir les périphéries et les campagnes devient possible. La relocalisation des entreprises est une autre donnée importante : cela permet de travailler de manière plus saine et sereine avec des circuits courts. On va vers une ville frugale, mais qui sera plus bienveillante et dynamique, où on ne sera plus les uns contre les autres, mais les uns avec les autres. L'enjeu pour nous architectes, n'est pas juste de répondre à un besoin, c'est aussi de créer du désir.
Portrait chinois
Si vous étiez…
Une couleur ?
Le vert d'eau
Une émotion ?
Le spirituel
Une ville ?
Lyon
Un animal ?
Un cheval, à cause du regard, qui traduit ce rapport si étonnant et mystérieux entre l'Homme et le cheval.
Un monument célèbre ?
La Chapelle Sixtine
Un artiste célèbre ?
Tony Garnier, pour rester sur l'architecture.
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www.atelierthierryroche.fr
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