Autodidacte, le photographe d'architecture Laurent Kronental capture depuis 10 ans la mélancolie des grands ensembles de la région parisienne. L’empreinte de l’homme sur le paysage urbain et la façon dont celui-ci l’habite le fascinent. En deux séries de clichés, "Souvenir d'un futur" et "Les yeux des tours", il s'est forgé un nom en France et à l'étranger.
Une fascination pour les paysages urbains
Humaniste, poétique, architectural : c'est ainsi que l'intéressé décrit son style. Cet autodidacte a découvert la photographie à l'occasion d'un séjour à Pékin, en 2008. Il est alors captivé par les grandes métropoles chinoises, la variété des architectures et leurs habitants. Une fascination qui remonte à l'enfance en réalité, passée en banlieue parisienne. A son retour en France, il réalise de 2011 à 2015 sa première série, "Souvenir d'un Futur". Il y montre des personnes âgées saisies sur leur lieu de vie, dans des cités vieillissantes comme eux, telles que Les Étoiles d’Ivry, de Jean Renaudie et Renée Gailhoustet (1972), ou les Espaces d’Abraxas, de Ricardo Bofill, à Noisy-le-Grand (1983).
Il pose un autre regard sur ces banlieues souvent stigmatisées, dont les bâtiments gardent la mémoire des utopies modernistes d'après-guerre. Le projet "vise à questionner le spectateur sur l’oubli du grand âge. J’ai aussi voulu créer l’ambiance d’un univers parallèle rétro futuriste et rendre consciemment l’impression de villes vidées de leurs habitants." Coup d'essai, coup de maître : Laurent Kronental est lauréat de la Bourse du Talent 2015, catégorie paysage, et ses tirages sont exposés à la Bibliothèque Nationale de France.
Crédit photos : "Souvenir d'un futur" @ Laurent Kronental
La tête dans les nuages
Poursuivant sur sa lancée, le jeune talent réalise entre 2015 et 2018 une seconde série sur les grands ensembles, en les explorant cette fois de l’intérieur : "Les Yeux des Tours". Habitant Courbevoie, c'est en voisin que Laurent Kronental s'intéresse aux tours Nuages du quartier Pablo-Picasso à Nanterre. Construits par l'architecte Émile Aillaud de 1973 à 1981, ces immeubles sont emblématiques des réalisations des années 70. Traitées comme des paysages, leurs façades sont recouvertes de pâtes de verre, figurant le ciel traversé de nuages et de verdure. Ce décor fascine le jeune homme depuis l'enfance : "la forme cylindrique des habitats, leur allure rétro futuriste, comme bloquée dans le temps. J’avais la sensation d’être transporté dans un univers de science-fiction".
Les fenêtres sont les yeux des tours
Autres curiosités des tours Aillaud, leurs ouvertures en forme de hublots carrés, ronds ou en forme de goutte d'eau. En faisant de ces étranges fenêtres son sujet principal, le photographe nous ouvre les portes des appartements, pour nous faire partager l'horizon quotidien des habitants. Côté technique, « Les Yeux des Tours » suit un protocole de travail bien défini. Tous les clichés ont été réalisés à la chambre argentique 4×5, en format paysage. Ce sont des vues en couleur frontales, centrées sur le hublot d'un appartement. L’humain n'apparaît jamais, mais sa présence est palpable : le cadrage soigné met en valeur quelques détails de la vie des habitants, à l'intérieur de la pièce (mobilier, rideaux, éléments de déco). Ces partis-pris confèrent à ces photographies une grande force évocatrice.
"Le hublot est non seulement une fenêtre originale, mais il apparaît aussi comme un œil biface qui observe le monde. Subtile frontière entre l’environnement et le foyer, cet œil nous parle de la société, de l’Homme et de ses aspirations", commente l'artiste.
Ces fenêtres m’évoquaient le voyage… le hublot d’un avion, d’une capsule spatiale, le sabord d’un navire, ou encore l’œil du Nautilus de 20 000 lieux sous les mers.
Crédit photos : "Les yeux des tours" @ Laurent Kronental
Bio
1987 Naissance à Paris
2008 Séjour en Chine. Il découvre la photo
2011 Commence à photographier les grands ensembles de la région parisienne : début de la série "Souvenir d'un futur"
2015 Lauréat de la Bourse du Talent
Exposition à la BNF
2018 Sortie de la série "Les yeux des Tours"
Exposition aux Rencontres d'Arles