Journées du matrimoine : reconnaître la place des femmes dans l'art et le patrimoine

Comme l'indiquerait sa racine latine (mater, la mère) le matrimoine serait le pendant féminin du patrimoine (du latin Pater, nos pères). La thèse divise les linguistes. Ce concept récemment réapparu avec la résurgence du mouvement féministe, désigne l’héritage des femmes dans l'art et la culture. En contrepoint des Journées européennes du patrimoine, qui mettent en valeur la diversité des biens culturels anciens ou contemporains et aux mêmes dates (3e week-end de septembre), les Journées du matrimoine ont pour but de faire connaître au grand public la part des femmes dans notre patrimoine matériel et immatériel. En effet, si leurs œuvres d'art ont fortement contribué à la richesse culturelle et intellectuelle de notre pays, elles ont été largement invisibilisées, exerçant leur art dans l'ombre de grands-maîtres qui ont capté toute la lumière.
 

Les Journées du matrimoine ont été créées en 2015 à l’initiative de l’association HF Île-de-France. Celle-ci a pour but le repérage des inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde de l'art et de la culture, la lutte contre les discriminations de genre et les violences faites aux femmes dans ces secteurs, et la mise en place d’actions en faveur de de la parité et pour l’égalité de traitement entre femmes et hommes, sur tous les plans (rémunération, financements des projets, accès aux musées, galeries et espaces d'exposition, accès aux formations, etc.). Au fil des ans, l'association a essaimé dans la France entière, donnant corps au Mouvement HF, qui réunit aujourd’hui plusieurs collectifs régionaux.

Dans les régions les plus mobilisées sur la question – Auvergne Rhône-Alpes, Centre Val de Loire, Hauts-de-France, Ile-de-France et Normandie, notamment – les Journées du matrimoine proposent un programme complet d'animations gratuites, pour découvrir quelques joyaux du patrimoine français, entre visites guidées dans des musées, expositions temporaires, balades commentées, conférences. L'art contemporain et le spectacle vivant sont également bien représentés, avec des installations, des performances, des lectures publiques, spectacles et concerts. Certaines DRAC et collectivités locales, à l'instar des villes de Bordeaux et Nantes, ont même renommé les "Journées du patrimoine" en "Journées du patrimoine et du matrimoine".
 

Ces journées du patrimoine et du matrimoine nous donnent l'occasion de mesurer l'ampleur du phénomène d'invisibilisation des femmes dans l'art et la culture. Pour ce faire, il n'est qu'à feuilleter le rapport annuel publié par l’Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication du ministère de la Culture. Celui-ci évalue la part des femmes dans l’administration, les institutions et les entreprises culturelles et médiatiques et ce dans les différentes disciplines artistiques, qu'il s'agisse de dessin, peinture, sculpture, architecture, musique, littérature, musique, danse, théâtre et cinéma... Publié chaque année à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes (8 mars), ce travail statistique fouillé permet d’objectiver la place des femmes dans les métiers artistiques et culturels. Ces chiffres édifiants permettent d'identifier les obstacles que les femmes rencontrent pour exercer leur art et diffuser leurs œuvres. Bien que la parité soit quasi atteinte au sein du ministère de la Culture, chez les opérateurs nationaux et dans l’audiovisuel public, les artistes féminines ont moins accès aux financements et aux moyens de production et de diffusion de leurs œuvres d'art. Ainsi, seulement 25% des films produits en France sont l'œuvre de réalisatrices. Quant au spectacle vivant, seulement 31% de la programmation concerne des œuvres écrites par des autrices. Le manque de reconnaissance à l'égard des créatrices est également patent : elles sont ainsi moins souvent récompensées que leurs homologues masculins lors des remises de prix de leur profession (Césars, Victoires de la musique, Molières, etc.)

Et l'architecture ne fait pas mieux que les autres disciplines des beaux-arts ! En 50 ans d'existence, le Pritzker Prize, l'équivalent du prix Nobel pour l'architecture, n'a été décerné qu'à 5 femmes : l'icône Zaha Hadid (2004), la Japonaise Kazuyo Sejima (2010), Carme Pigem l'Espagnole (2017) et le duo d'architectes irlandaises Farrell-McNamara, surnommées les Graftons (2020)... On peut cependant remarquer une évolution des mentalités à partir du milieu des années 2000.
 
Mais voyons le verre à moitié plein : les choses bougent, lentement mais sûrement. Les acteurs de la culture sont de plus en plus soucieux de réhabiliter la place des femmes dans l'histoire de l'art, comme tendent à le prouver l'exposition dédiée aux Pionnières de l'Art moderne, organisée au Musée du Luxembourg en 2022 à Paris, ou encore l'entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Gageons que les Journées du patrimoine et du matrimoine ne feront bientôt plus qu'un, en France comme en Europe.
 

Sources / en savoir plus
www.lematrimoine.fr/les-journees-du-matrimoine/
Observatoire-2022-de-l-egalite-entre-femmes-et-hommes-dans-la-culture-et-la-communication
4114.technal.fr/hommage-des-femmes-puissantes-architectes-designers-et-artistes-b185.php