Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles

Rencontres / Publié le 31 Mai 2022

Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles

Comment est née votre vocation ?

J-C. M. : Cela vient de loin ! Je suis né dans une famille de bâtisseurs, d'entrepreneurs, d'où mon attrait pour la construction. Et mon appétit pour l'architecture est né d'une soif de culture. J'ai rencontré mes associés sur les bancs de l'école d'architecture de Bordeaux. On a créé l'atelier King Kong (nom emprunté à une chanson de la Mano Negra, ndlr) dès notre sortie.
 
R.S. : Pour moi aussi, c'est un mariage ! Entre le besoin d’exprimer une créativité intense et une attirance pour le monde végétal. J’ai toujours été fasciné par le cycle de la vie et les mécanismes biologiques qui permettent à une graine de devenir un géant végétal.
 

Quelle vision de vos métiers respectifs défendez-vous ?

 J-C. M. : L'architecture, c'est répondre à une question qui n'est pas posée. Cela veut dire qu'il faut aller au-delà du programme. A King Kong, nous défendons la vision d'une architecture située, qui n'est pas générique. Les maîtres d'ouvrages nous posent au départ une question programmatique, d'ordre financier et technique. On doit répondre à des fonctions précises, obtenir un label, remplir des objectifs. Notre métier est d'absorber tout cela et de le transformer pour le poser dans un environnement urbain qui appartient à tous. On s'intéresse à l'usage, à l'environnement… des choses qui au départ ne sont pas dites, ni même envisagées par le commanditaire.
 
R.S. : Pour nous, l'idée est de donner une autre sensation de l’espace dans l’agencement du paysage. On cherche à suggérer un sentiment d’ampleur, à effacer les limites spatiales, afin de laisser percevoir un paysage infini. C’est aussi faire en sorte que la fertilité du sol s’exprime. Le sol constitue la matrice de nos projets, dans la mesure où il est générateur de vie. Tout notre travail de création part de là.
 

Quelle est votre approche pour une intégration réussie d'une architecture dans son paysage ?

J-C M. : en nous associant des compétences autres, notamment celle de paysagistes. Jean Nouvel a dit que "l'architecture est la pétrification d’un moment de culture". La richesse d'un projet n'advient que si l'on est attentif à son environnement immédiat. Un bâtiment n'est pas un objet posé de manière abstraite. Son rapport au sol, à l'environnement, au paysage, est primordial.
 
R.S. : Je partage ce point de vue. Un projet réussi, c'est quand il y a harmonie entre l’architecture et le paysage. Le bâtiment ne s’impose pas dans le paysage. Il ne se cache pas non plus. Il s’assume, en sensibilité avec son site d’accueil. Cette rencontre aboutit à un dialogue, une émulation entre les deux. Quand cela fonctionne, la construction magnifie le paysage et inversement.
 

Avez-vous des exemples concrets de dialogue entre architecture et paysage ?

J-C M. : Pour nous, l'histoire du lieu fait partie des gênes d'un projet. Dans l'enveloppe du Dock G6 que nous avons conçu à Bordeaux, l'histoire du site, avec ses rails de chemin de fer, le béton et l'acier, est traduit dans des matériaux contemporains et des teintes évoquant ce passé industriel. Par essence, l'architecture, c'est aussi de l'expérimentation. Pour l'hôtel Seeko'o à Bordeaux, nous avons conçu une façade en panneaux de corian, qui a nécessité six mois de travail avec des industriels. Une première mondiale ! Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les percements et la sérigraphie sur verre, à partir de photos d'archives, avec toujours cette volonté de traduire une histoire.
Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles
Hôtel Seeko'o Bordeaux ©Atelier Architecture King Kong
R.S. : Parmi nos collaborations avec King Kong, le Parc du Coteau et sa gare à Vitry Centre est un bel exemple. D’emblée, on sent le contraste entre une approche naturaliste et un contexte hyper urbain. Cependant, par ses courbes et sa topographie ondulée, un dialogue est noué, montrant l’intérêt de la construction et du paysage à exister ensemble. A Rezé, sur le site du Chronographe, le bâtiment conçu par Berranger & Vincent se démarque au milieu des vestiges d’une ville antique. La verticalité de la construction vient révéler les différentes strates du lieu. Elle permet de s’élever, en donnant un nouveau point de vue sur le paysage.
Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles Interview croisée de Jean-Christophe Masnada et Rémi Salles
Photo 1 : Le parc du Coteau ©Illustration : Atelier d’Architecture King Kong
Photo 2 : Le Chronographe ©François Dantart

Quelle est votre vision de la ville durable ?

J-C M. : Il faut rester humble en tant qu'architecte. Toute vision dogmatique de la ville me déplaît ; elle se fait pièce par pièce, pas à pas. Pour moi, elle doit favoriser le mélange, le métissage, doit mêler le passé et le présent. J'aime stratifier, oser la modernité, j'aime les villes qui ne se figent pas dans leur histoire. L'urgence est de mettre un frein à la médiocrité et à la norme. La ville de demain, ce sera celle qui ose.
 
R.S. : En tant que machine à fabriquer du lien entre les humains, la ville est un formidable outil. Mais il y a un équilibre à trouver, il faut s’interroger sur l’impact d’un bâtiment sur un morceau de terre. Sur la manière de rassembler un maximum de personnes en un point, tout en laissant le sol s’exprimer. Cela passe par davantage de végétal, mais aussi par le respect de l’écosystème en place et l’aménagement d’espaces où l’eau puisse s’infiltrer. En plus des bénéfices sur l’environnement, ce que l’on construit alors, c’est une ville où l’on a envie de vivre longtemps, de façon durable.
 

Monsieur Masnada, vous êtes à l'origine du prix "Jeunes Architectes" du Palmarès Architecture Aluminium TECHNAL. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération ?

La frugalité, expression très à la mode, leur sied bien à cette jeune génération d'architectes qui pousse. Il y a une sorte d'économie dans leurs projets que je trouve intéressante, ils font beaucoup avec peu. Ils se démènent pour tirer la quintessence d'un site, même improbable. Regardez le lauréat "Jeunes architectes" du dernier palmarès Technal. Dans une étonnante parcelle en pointe, le lauréat a réussi avec une sorte d'origami, de pliage, à faire œuvre d'architecture. Il a créé des espaces, amené la lumière, permis l'intimité et l'ouverture vers l'extérieur, c'est un travail remarquable.

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